Que puissent refleurir dans les champs du bocage… les coquelicots.

Le groupe local « Nous voulons des coquelicots » se réunit tous les premiers vendredis du mois, à 18h30, place du Petit-Marché, aux Herbiers. Ci-dessous, l’intervention d’un jeune retraité du bocage, paysan de 1981 à 2017 (35 ans de carrière en production de bovins à viande).

Témoignage

« J’aimerais vous faire part de quelques remarques et observations sur ces 35 ans de pratiques agricoles et de leurs conséquences. D’abord sur l’environnement, puis sur le réchauffement climatique. En guise de dessert, Philippe Faucheux nous interprétera un très beau texte qui s’inscrira parfaitement dans la foulée de mon intervention.

Comme la plupart des agriculteurs, ma carrière a été marquée par la pratique de l’agriculture intensive. Comme tout le monde, j’alimentais mes vaches avec des cultures de graminées (ray grass italien et maïs) complémentées avec des sojas brésiliens ou argentins. La terre n’était plus qu’un support mort, stérile où les végétaux ne poussaient qu’artificiellement. Les différents intrants assuraient l’alimentation et la protection des plantes : engrais chimiques, potasse, acide phosphorique, nitrate, herbicide, insecticide, fongicide permettaient d’obtenir de belles récoltes. C’était la pleine période de la révolution verte. Déjà on constatait les dégâts collatéraux de ces pratiques : pollution des eaux par les nitrates, par les pesticides (atrazine et lindane dans les eaux souterraines). Cette agriculture, devenue folle, interrogeait déjà certains agriculteurs quant aux moyens et aux finalités.

Alors naît l’idée d’une agriculture durable.

On ne pouvait plus continuer à cautionner de telles pratiques. La fonction première du paysan est de produire des biens alimentaires sains et de qualité. Deux questions essentielles hantent alors le véritable paysan que je suis devenu : Pourquoi je produis ? Comment je produis ?

J’ai compris que nos bocages, espaces d’élevage par excellence, sont des milieux fragiles à respecter. J’ai compris que la prairie de longue durée doit être le pivot essentiel de nos systèmes. Sa flore fourragère doit nécessairement marier graminées (ray grass, dactyle, fétuque) et légumineuses (trèfle blanc, luzerne, lotier). Ce sont les légumineuses qui constitueront les fondamentaux de l’agriculture durable et paysanne. Elles ont la capacité de fixer l’azote de l’air par le rhizobium de leurs racines et de servir de garde-manger en nitrate pour les graminées présentes dans la prairie. Ainsi, l’agriculteur n’a plus à épandre de nitrates chimiques minéraux qui finissaient souvent, par lessivage, dans les nappes phréatiques.

Ainsi la présence de trèfles et luzernes, plantes à fleurs, sont un paradis pour les insectes. J’ai eu l’immense plaisir d’assister à des raves-party d’abeilles, bourdons et papillons qui s’en donnaient à cœur joie à butiner sans relâche ces espaces merveilleux.

J’aimerais insister sur le fait que la prairie doit obligatoirement s’inscrire dans un assolement où le sol redevenu vivant, producteur de matière organique et de biomasse, retrouve ses véritables fonctions. Ainsi le retour à la polyculture permet une alimentation des bovins saine et équilibrée. Au passage, je rappelle que la composition biochimique d’1 kg de viande des années 60 était complètement différente de celle des années 90 : par exemple, en 1960, la viande était naturellement pourvue en oméga 3. Qu’en est-il aujourd’hui ?…

La prairie multi-espèces, aliment équilibré pour les bovins, permet à ces derniers de se passer de compléments protéiques (soja notamment). D’autre part, elle est le dernier rempart avant la friche car le pâturage en milieu difficile devient le seul mode d’exploitation de ces espaces.

D’une manière générale, nous pouvons être très inquiets concernant notre santé et notre environnement. Sachez que la France est la championne d’Europe des dérogations pour l’utilisation des molécules interdites (environ 50 dérogations en 2017) : des produits interdits sont, sous la pression de l’agrochimie et de la FNSEA, encore utilisés. Aussi, dès qu’un pesticide se trouve dans le collimateur, des agriculteurs font des stocks par précaution, de manière à se couvrir en cas d’interdiction. On voit que le glyphosate a de beaux jours devant lui.

On peut aussi être sceptique devant l’agriculture majoritaire qui ne conçoit d’alternative qu’avec d’autres molécules de substitution, sans remise en cause du système qui serait la véritable alternative, tout en perpétuant un système où on continuerait à « polluer propre ».

La deuxième partie de ma carrière a été marquée par une nouvelle réalité : le réchauffement climatique qui a d’ailleurs souvent mis en arrière-plan la pollution. J’aimerais vous faire part de quelques observations et réflexions sur ce réchauffement climatique.

Au cours des 30 dernières années, j’ai vu de mes propres yeux :

  • La fonte des glaciers dans les Pyrénées, ces fameux névés ou neiges éternelles ;
  • Nos vaches, depuis près de 30 ans pâturent les prairies des communaux du marais poitevin. L’évolution de l’avifaune est criante : on côtoie maintenant couramment l’échasse blanche, l’aigrette garzette, le héron piqueboeuf qui habitaient l’Afrique et éventuellement la Camargue.
  • Les saisons ne sont plus marquées. Il n’y a plus de printemps, plus d’hiver. Il n’y a, certaines années, plus de repos végétatif des plantes (les bourgeons gonflent tout l’hiver). La végétation n’explose pratiquement plus au printemps. Par contre, par exemple, le pâturage d’automne peut se prolonger jusqu’en décembre et – impensable ! – certaines années on peut faire sécher naturellement de l’herbe en novembre.
  • Les épisodes-météo deviennent très marqués : sécheresse, canicule, tempête, orages en hiver. Pour le paysan, le beau temps, c’est le temps qui change, qui ne dure pas. Désormais, les épisodes-météo durent : exemple en 2018, temps pluvieux les 5 premiers mois, puis chaud et sec pendant 5 mois. Sale temps pour le paysan.

D’autres réflexions sur le réchauffement climatique :

  • L’émission de gaz carbonique (gaz à effet de serre majeur) doit nous inviter à ne plus utiliser d’intrant chimique en agriculture. Par exemple, les engrais chimiques sont tous produits à partir d’énergie carbonée (pétrole, charbon, gaz). Il faut les bannir. On ne doit plus, ou peu, solliciter cette énergie fossile pour ne pas contribuer au réchauffement climatique.
  • J’aimerais tordre le cou à une idée couramment entretenue par les médias notamment : La viande bovine, par l’émission de méthane des ruminants est un gros pourvoyeur de GES (gaz à effet de serre). Le méthane émis par les pets et ruminations est certes une réalité. J’entends que les bovins issus de l’agriculture industrielle ont une responsabilité évidente dans l’émission de GES. Par contre, les bovins élevés au pâturage ont un bilan carbone quasi neutre car la biomasse des prairies, des haies, sont de super pièges à carbone.

Alors, réveillons-nous et soutenons notre agriculture intelligente de polyculture-élevage de nos bocages, productrice d’environnement préservé, de paysages variés, de haies et de bosquets, de biomasse abondante et de biodiversité très riche. Le tout façonné par des paysans nombreux et heureux de leur condition. Je compte sur le soutien de chacun pour que, je l’espère, puissent refleurir dans les champs du bocage… les coquelicots. »

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