C’est quoi l’Union Européenne ?

Le Mouchampais Didier Varboom est économiste, membre de la CFDT et de Forum citoyen. Il est partisan d’une fédération européenne. Après son intervention du 28 mai 2024 aux Herbiers pour présenter l’Union Européenne, il propose ci-dessous une version condensée de son texte initial. Celui-ci est disponible en le demandant à Forum citoyen.


La construction européenne nous fait vivre en quelques dizaines d’années ce que les États
membres ont accompli en plusieurs siècles, depuis son ébauche, par le Traité instituant la CECA,
en 1951, et par son renforcement progressif vers un État de plein exercice (même si le mot État
est encore impropre, et donc prématuré !).


1 – L’Union européenne dispose de presque tous les attributs d’un État moderne

  • un pouvoir exécutif ;
  • un pouvoir législatif élu suffrage universel ;
  • un pouvoir judiciaire, avec un contrôle de « constitutionnalité » (contrôle de la
    conformité des décisions de l’UE aux Traités) ;
  • une citoyenneté commune (= ce qui donne le droit de participer aux affaires publiques de
    l’Union), à distinguer de la nationalité (= lien juridique et politique à un État membre) ;
  • des règles de fonctionnement communes dans tous les domaines relevant de sa
    compétence ;
  • une monnaie unique (l’euro) avec une Banque centrale ;
  • une Cour des comptes pour contrôler la bonne gestion des fonds publics ;
  • une Assemblée représentant les forces économiques (le Comité économique et social) ;
  • une Assemblée représentant les différentes régions (le Comité des régions), avec un
    mécanisme de solidarité entre les régions ;
  • la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux ;
  • une gestion commune des frontières internes et externes ;
  • une déclaration des droits fondamentaux (Charte des droits fondamentaux de l’UE), avec
    un médiateur ;
  • un drapeau (un cercle de 12 étoiles d’or sur fond bleu) ;
  • un hymne (l’« Ode à la joie » de la Neuvième symphonie de Beethoven) ;
  • une devise « Unie dans la diversité »;
  • une fête « nationale » (la journée de l’Europe célébrée le 9 mai dans toute l’Union).

Ce qui me manque à l’Union Européenne pour être pleinement un État :
pour l’essentiel, la politique étrangère et la politique de défense avec une armée commune.


Deux remarques :

  • certains domaines : politique sociale, fiscalité, échappent à la compétence de l’Union
    Européenne, mais, très souvent, ces domaines ne relèvent pas, dans une Fédération, de l’État
    fédéral, mais seulement, des États fédérés ; comme on peut le constater, par exemple, aux
    USA, en RFA et, aussi, en Espagne et en Belgique ;
  • l’UE n’a pas de langue unique (il y a 24 langues officielles), ni même de langue commune,
    puisque tous ses habitant(e)s ne parlent pas anglais ! Il faut souligner que dans un État, a
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    fortiori, dans un État fédéral, il n’y a pas, obligatoirement, de langue commune.
    Cela peut expliquer le sentiment « d’inaboutissement » de la construction européenne et justifier une certaine insatisfaction.

2 – L’Etat des lieux

Les objectifs : la paix, la démocratie, la prospérité et, plus récemment, le maintien de la biodiversité
et la lutte contre le réchauffement climatique.

Les résultats :

  • la paix (l’UE, prix Nobel de la paix en 2012, « Pour avoir contribué pendant plus de six
    décennies à promouvoir la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l’Homme en
    Europe » : extrait de l’exposé des motifs). La paix, en Europe, est, désormais, une réalité (sauf à
    sa périphérie). Elle est donc peu mobilisatrice pour les nouvelles générations. Sauf que depuis
    2014, et encore plus, depuis le 22/02/2022, la guerre est de nouveau aux portes de l’Europe ;
  • la démocratie : les dictatures ont disparu, mais constat largement partagé d’un déficit
    démocratique ;
  • la prospérité : mais la croissance est en panne et le retour de la croissance sera difficile (et
    probablement non souhaitable pour des raisons écologiques) ;
  • le maintien de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique : l’UE a
    montré que dans ces deux domaines, elle pouvait être une force de proposition et inciter ses
    partenaires des pays tiers à agir.

La méthode qui a été mise en oeuvre selon 8 principes, qui se sont peu à peu dégagés au fil
des années :

  • mutualisation : c’est la mise en commun des moyens ;
  • harmonisation : c’est le processus en vue de se mettre d’accord sur des règles et des normes
    valables pour tous, et résultat de ce processus ;
  • négociation, elle se poursuit jusqu’à aboutir à un accord satisfaisant pour tous ;
  • primauté : le droit adopté par l’Union sur la base des Traités prime le droit des États membres ;
  • réciprocité : ce qui est acceptable pour un État membre, ne peut pas ne pas être acceptable par
    tout autre État membre et doit donc être accepté par tous les autres États membres ;
  • subsidiarité : c’est le principe selon lequel une autorité de niveau supérieur ne doit effectuer
    que les tâches qui ne peuvent être réalisées à l’échelon inférieur ;
  • proportionnalité : c’est le principe selon lequel les moyens mis en œuvre ne doivent pas
    excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés ;
  • pragmatisme : on peut avancer dès lors qu’on le peut, sans s’obliger à suivre un plan fixé à
    l’avance (quitte à prendre le risque de créer des déséquilibres qu’il faudra, après coup, corriger.
    Une avancée dans un domaine nécessite assez souvent de faire un pas de plus, afin de préciser,
    encadrer, contrôler la décision prise).

3 – Rappel des principaux Traités

  • Traité de Paris du 18/04/1951 instituant la CECA (= Communauté Européenne du Charbon et
    de l’Acier), entré en vigueur le 25/07/1952.
  • Traités de Rome du 25/03/1957 instituant la CEE (= Communauté Économique Européenne)
    et l’EURATOM (= Communauté européenne de l’énergie atomique ou CEEA). Le Traité
    instituant la Communauté économique européenne, ou Traité CE (TCE), ou Traité de Rome,
    deviendra le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), avec l’entrée en
    vigueur du Traité de Lisbonne.
  • L’Acte Unique Européen (AUE), signé le 17/02/1986 est entré en vigueur le 01/07/1987. Cet
    Acte modifie les Traités de Paris et de Rome, afin de permettre la réalisation d’un véritable
    marché intérieur et d’une Union Européenne.
  • Le Traité de Nice, signé le 26/01/2001, entré en vigueur le 01/02/2003 et remplacé par le
    Traité de Lisbonne.
  • Le Projet de Traité constitutionnel (PTC) rejeté par la France et les Pays-Bas par référendum
    en mai 2005 et donc jamais mis en oeuvre.
    Rappel : un Traité doit être signé par tous les Chefs d’État ou de gouvernement et voté (=
    ratifié) par tous les Parlements nationaux (dans les mêmes termes). Un seul rejet et le Traité
    ne peut être appliqué.
  • Le Traité de Lisbonne (TL) modifiant le Traité sur l’Union Européenne (TUE) et le Traité
    instituant la Communauté Européenne (= TCE, appelé, désormais, TFUE), signé le 13/12/2007
    et entré en vigueur le 01/12/2009, remplace le Traité de Nice et reprend l’essentiel du Projet de
    Traité constitutionnel. Depuis lors, ces deux Traités (TUE et TFUE) n’ont pas été modifiés
    (même après la sortie du Royaume-Uni de l’UE).
  • Les Traités bancaires (ces Traités ne modifient en aucune manière, ni le TUE, ni le TFUE),
    afin d’inciter les États membres à réduire leurs déficits, de réduire les risques bancaires et de
    piloter la zone euro.

4 – Les Institutions de l’Union Européenne

Comme dans tout État, il y a :

Un pouvoir législatif : le Parlement européen, élu par l’ensemble des citoyens, au suffrage universel
direct, pour 5 ans, au scrutin de liste, à la proportionnelle (pas plus de 750 membres au maximum + le
Président, soit 751 membres), entre 6 et 96 sièges par État membre. Ce Parlement, composé d’une seule
Assemblée, représente les citoyens (ce qui est le rôle, en France, de l’Assemblée nationale) et non les États
membres (ce qui est le rôle, en France, du Sénat, qui représente les Collectivités territoriales).


Un pouvoir exécutif : avec deux entités,

d’un côté, le Conseil européen (= tous les Chefs d’États ou de gouvernement des États membres, le président du Conseil européen et le président de la Commission) pour les grandes orientations. Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique
de sécurité participe à ses travaux ; et, le Conseil de l’Union européenne (appelé aussi le Conseil = Conseil des
ministres = tous les ministres d’un même secteur) pour les autres décisions ;

et de l’autre, la Commission européenne : les Commissaires (un Commissaire issu de chaque État membre) sont nommés par le Conseil européen. Le Président de la Commission est proposé par le Conseil et élu par le Parlement européen. La Commission est soumise, après audition de chaque candidat par le Parlement européen, à un vote d’approbation du Parlement. Les Commissaires ne représentent pas leur pays d’origine.


Un pouvoir judiciaire : « La Cour de justice de l’Union européenne comprend

la Cour de justice, le Tribunal [ex-Tribunal de première instance] et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit
dans l’interprétation et l’application des traités », gardienne des Traités (les Traités internationaux
l’emportent sur le droit national), composée d’autant de juges qu’il y a d’États membres, nommés d’un
commun accord par les États membres. La Cour assure une interprétation et une application uniformes
du droit de l’UE.

et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, nommé par
Conseil européen. Ce haut représentant est, également, vice-Président de la Commission.


L’acquis communautaire concerne les pays candidats :
L’acquis communautaire correspond au socle commun de droits et d’obligations qui lie l’ensemble
des États membres au titre de l’Union européenne.
En 2010, l’acquis de l’UE, c’est-à-dire le stock de législation européenne existante, était constitué de
quelque 8 400 règlements et de près de 2 000 directives, en plus des Traités. Ces chiffres illustrent
l’ampleur du travail législatif et réglementaire de l’UE et sa présence active dans tous les domaines.


Autres institutions, que l’on retrouve sous des formes appropriées dans la plupart des États :

  • le Comité économique et social européen, le Comité européen des régions, la Cour des
    comptes ;
  • la Banque européenne d’investissement (BEI) : contribue à la cohésion économique,
    sociale et territoriale de l’Union ;
  • la Banque centrale européenne (BCE), depuis la création de l’euro : politique monétaire
    de la zone et stabilité des prix.

5 – Le fonctionnement des Institutions

Le Conseil européen : définit les orientations et fixe les priorités de l’Union.

Le Conseil, appelé aussi Conseil des ministres, coordonne les politiques sectorielles de l’UE.
« Le Conseil exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législative et
budgétaire » : il est pour le moins étrange qu’un pouvoir exécutif exerce également le pouvoir
législatif.

Le Parlement européen (PE) : au fil des Traités, le Parlement a acquis plus de pouvoirs (et de
légitimité) et, au fil des années, il s’est donné les moyens de devenir un véritable Parlement.
Les pouvoirs des Parlements de la plupart des États membres étant, généralement, plus grands que
ceux du Parlement français, les parlementaires européens sont, dans l’ensemble, plus soucieux
d’exercer leurs prérogatives, et même de les accroître, à la différence des parlementaires français.
Le Parlement européen a un fonctionnement plus apaisé (que celui du Parlement français), autour de
majorités d’idées, qui se font et se défont. Cela passe par une culture de la négociation, plutôt que par
le culte de la confrontation !

La Commission européenne, a un triple rôle de gardien des Traités, d’exécution des décisions du
Conseil (appliquer les politiques de l’Union et gérer le budget) et de proposition de lois.
En tant qu’elle est le reflet des Gouvernements, la composition politique de la Commission n’est pas
politiquement homogène. Et dans ce cas, il ne s’agit pas de coalition voulue et organisée, mais, plutôt
de cohabitation subie. Ce qui peut expliquer les tiraillements à l’intérieur de la Commission, voire ses
difficultés à dégager de grandes orientations sur l’avenir de l’UE.

La procédure législative ordinaire (appelée communément « codécision ») : la plus fréquente :
la Commission fait des propositions au Parlement européen et au Conseil qui les examinent et
proposent des amendements.
Il existe aussi des procédures législatives spéciales, réservées à certains domaines.
Les compétences de l’Union européenne : elles sont réparties en trois catégories :

  • Les compétences exclusives où « seule l’Union peut légiférer et adopter des actes
    juridiquement contraignants ».
  • « Les compétences partagées entre l’Union et les États membres.
  • Les compétences d’appui « pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États
    membres ».

Les principaux actes juridiques :

  • la directive : s’impose à tous les États membres concernés, mais doit être transposée dans le
    droit national ;
  • le règlement : obligatoire et directement applicable par tous les États membres.

Le budget de l’UE doit toujours être à l’équilibre (dépenses = recettes). Il s’élève à 168 milliards
d’euros en 2023, dont 8,4 (soit 6 %) pour le fonctionnement de toutes les Institutions de l’Union. Ce qui
correspond à 1% des richesses produites (= le PIB) de l’Union.
Rappel : en France, les prévisions de dépenses de l’État, toujours en 2023, s’élèvent à 431,9 milliards
d’euros (non compris 43,7 milliards d’euros versés aux collectivités territoriales et 24,6 milliards
d’euros versés à l’Union européenne), soit environ 15,6 % de son PIB).
Les institutions de l’Union européenne emploient, au 01/01/2024, 43 000 fonctionnaires et agents
assimilés, dont 32 484 fonctionnaires travaillent pour la Commission européenne, 6 923 pour le
Parlement européen et 3 500 pour le Conseil de l’Union européenne.


6 – Les acquis de la construction européenne

  • la politique agricole commune (PAC) ;
  • la « libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes à l’intérieur
    du marché unique européen » ;
  • la réduction des disparités de développement économique entre les États membres et entre les
    régions ;
  • la Cour de justice européenne ;
  • le Programme Erasmus qui permet aux étudiants de se former dans une Université étrangère ;
  • la zone euro, avec des mécanismes de mutualisation des risques bancaires et des garanties de
    dépôts ;
  • les acquis de l’Union européenne : l’ensemble des droits et obligations juridiques qui lient les
    États membres et .que tout pays candidat doit transposer dans sa législation et sa réglementation
    nationales et les appliquer, au plus tard, le jour de son adhésion effective à l’Union.

7 – Forces et faiblesses

1) Lacunes liées à un fonctionnement insuffisamment démocratique :

  • Interventionnisme tatillon au motif de préserver et de renforcer le marché unique
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    (politique de normalisation).
  • Budget pluriannuel voté pour 7 ans, actuellement 2021-2027 (comme le budget
    précédent 2014-2020), sans même tenir compte du renouvellement du PE (qui a lieu tous
    les 5 ans) !
  • La concurrence libre et non faussée : comme référence absolue de la politique,
    économique et commerciale de l’UE.
  • Présence des lobbies (ONG, syndicats patronaux et de salariés ; les organisations
    patronales jouant un rôle décisif dans l’élaboration des normes).
  • Dans certains domaines : manque de transparence sur les projets de la Commission.
  • L’absence du droit d’initiative législative pour le PE.

2) Lacunes liées au fait que la construction de l’Union et l’harmonisation des politiques est un
processus long :

  • La mise en concurrence de tous contre tous (y compris entre services publics et
    entreprises privées), avec la remise en cause des acquis sociaux, souvent considérés par la
    Commission, comme des privilèges indus.
  • La porosité des frontières commerciales de l’UE face à la concurrence des pays à
    faibles salaires et à faible protection sociale (mondialisation subie et non vraiment
    maîtrisée).
  • Absence d’une véritable Union économique et monétaire, marquée par l’absence d’une
    véritable autorité politique (exécutive et législative).
  • L’insuffisance de la lutte contre les paradis fiscaux.
  • Maintien de la concurrence fiscale entre les États membres.
  • Absence de politique commune en matière de droit social.
  • Absence de politique étrangère commune.
  • Absence de politique de défense commune.

3) Les difficultés :

  • à la différence de ce qui existe dans les États membres : absence de culture politique
    commune, absence d’espace public unifié, absence d’une histoire commune.
  • Difficulté à se mettre d’accord à 6, 9, 10, 12, 15, 25, 27, puis à 28, depuis l’entrée de la
    Croatie, le 01/07/2013 et, désormais, de nouveau, à 27, depuis le 01/01/2020, date de la
    sortie officielle du Royaume-Uni. Mais avec toujours l’anglais parmi les 24 langues
    officielles de l’UE, puisque l’anglais est une langue officielle en Irlande et à Malte !
    La volonté d’aboutir à des décisions par consensus, plutôt que par des votes à la majorité
    qualifié, rend le processus de décision beaucoup plus long.
  • L’élargissement de l’UE à des pays dont le niveau de développement et les normes
    juridiques, sociales, environnementales, étaient, et sont encore, trop éloignés des autres
    États membres (malgré l’obligation de transposer les acquis de l’UE).
  • L’UE paraît lointaine, du fait du grand nombre des États membres.
  • Absence de personnalité(s) incarnant l’UE.
  • Absence d’ambition politique pour l’Europe et absence de politique étrangère
    commune :
    ◦ l’Allemagne y rechigne (le poids du nazisme est encore présent) ;
    ◦ la France ne peut plus (sa situation économique est un obstacle) ;
    ◦ tous les pays de l’Union n’ont, par exemple, pas la même attitude vis-à-vis de la
    Russie, ni vis-à-vis du « parapluie » américain ;
    ◦ de même, les points de vue divergent, lorsqu’il s’agit de prendre en compte et
    d’agir dans les pays des anciens empires coloniaux (espagnol, français ou
    portugais).
    La sortie du Royaume-Uni n’a pas supprimé tous les obstacles en ce domaine.
    Le fait que la France soit désormais le seul pays de l’UE (après la sortie du Royaume-Uni)
    à disposer d’une force de dissuasion nucléaire et d’un siège de membre permanent au
    Conseil de sécurité de l’ONU et qu’elle soit présente, travers ses DOM-TOM, sur tous les
    continents et dans tous les océans, lui octroie une responsabilité et un rôle particuliers.
    Tous ces éléments rendent très difficiles la définition d’une politique étrangère commune
    et, plus encore, sa mise en œuvre.
  • Tendance des gouvernements à se défausser sur l’UE pour des décisions
    embarrassantes, alors que, par définition, ils ont contribué à les prendre : double langage
    des gouvernements.
  • Beaucoup de grandes décisions ont déjà été prises (cf. Les acquis, ci-dessus, page 5) et
    celles qui restent à prendre (cf . Les enjeux, ci-dessous, page 8) sont difficiles à prendre,
    du fait de la très grande diversité des États membres.
  • L’empilement des Traités rend très difficile la bonne compréhension des textes :
    la nécessaire unanimité sur le texte même des Traités rend inévitable l’existence de
    multiples explications de texte, interprétations et dérogations.
  • Le grand nombre d’États membres fait, qu’à tout moment, un, ou plusieurs d’entre
    eux, se trouvent en campagne électorale, ce qui ne constitue jamais une période
    favorable pour prendre de grandes décisions. De plus, ce grand nombre fait qu’il est
    toujours très difficile de dégager, lors des Conseils, une majorité nette entre les différents
    gouvernements. Enfin, les choix en matière de politique internationale se font davantage
    selon des clivages nationaux (reflétant le poids de l’histoire et de la géographie de chaque
    État membre), plutôt que selon des clivages proprement politiques,

8 – Ce qu’apporte l’UE

Au delà des objectifs (la paix, la démocratie, la prospérité et la défense de l’environnement) et des
acquis l’attractivité de l’UE est encore très grande, à travers les demandes d’adhésion ou de coopération, et
comme modèle d’intégration économique et politique à l’échelle d’un continent.

  1. Les avancées générales, encore à amplifier :
  • des économies d’échelle (mutualisation) : faire à plusieurs, mais à moindre coût,
    plutôt que faire tout, tout seul ;
  • le fait d’avoir des entreprises européennes de taille suffisante pour faire face à la
    concurrence internationale ;
  • l’harmonisation des normes élève le niveau général, car les États membres, et
    surtout les parlementaires venant des pays les plus avancés, sont très réticents à
    accepter des reculs ;
  • faire ressortir les meilleures pratiques de chaque pays pour les adapter et les
    adopter : par exemple, en matière de libertés publiques ;
  • le renforcement des pouvoirs du PE : vers toujours plus de démocratie.
    Exemple à méditer pour le Parlement français.

2. les avancées sectorielles, déjà réalisées et à maintenir :

  • la Politique Agricole Commune (PAC) ;
  • les aides au rattrapage pour les nouveaux entrants ;
  • la politique régionale (réduction des disparités entre les régions) ;
  • la création de la zone euro : empêcher les dévaluations compétitives, du style,
    « tous contre tous ». Assurer la stabilité de la monnaie, malgré les tempêtes
    financières, économiques ou politiques.

9 – Les perspectives

1) Les enjeux politiques :

  • Avancée vers plus de fédéralisme (= Fédération d’États-nations), avec de
    nouveaux abandons de souveraineté ou Coopération simplement intergouvernementale (= arrêt ou limitation des transferts de souveraineté vers l’UE) ? :
    élargir le domaine d’application des votes à la majorité qualifiée ;
    accroître les moyens budgétaires de l’UE.

Une interrogation :
ne pourrait-on pas dire de l’UE, ce qu’Ernest Renan disait de la nation :
« L’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et
aussi que tous aient oublié bien des choses. […] Une nation est une âme, un principe
spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe
spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun
d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble,
la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »

Si la réponse est « oui » cela légitime à la fois la poursuite de la construction européenne,
mais aussi la conviction que les États nations continueront encore à exister.
Car l’expérience nous montre que les personnes qui ont une double nationalité, ou/et qui ont
la chance de bénéficier d’une double culture, se revendiquent, très souvent, comme étant
100 % l’une et 100 % l’autre ! Les identités ne sont pas un jeu à somme nulle, qui ferait que
ce que gagne l’une, serait perdu par l’autre. Ce qui est vécu comme une chance, à titre
individuel, peut aussi constituer une chance pour les collectivités auxquelles appartiennent
les personnes concernées.

  • Renforcement du fonctionnement démocratique ou affaiblissement du
    sentiment d’adhésion à un ensemble trans-national ? :
    accroître le rôle du Parlement européen, notamment, en matière budgétaire ;
    passer de la négociation discrète, voire secrète, entre gouvernements, à l’exposé public des
    divergences.
  • Renforcement de la cohésion sociale ou repli égoïste ?
  • Élargissement (avec la question des frontières de l’UE) ou approfondissement ?

2) Les enjeux économiques :

  • Zone d’intégration économique ou simple marché commun ?
    Rappels :
    ◦ marché commun = suppression des droits de douanes entre pays membres +
    tarif douanier commun vis-à-vis des pays tiers + liberté de circulation des
    marchandises, des capitaux et des hommes + liberté d’établissement des capitaux
    et des hommes.
    ◦ zone d’intégration économique = marché commun + harmonisation plus ou
    moins poussée des politiques économiques nationales (y compris la politique
    d’aménagement du territoire) + rapprochement des politiques monétaires,
    fiscales, sociales.
  • Autour de la zone euro :
    faire un nouveau pas en avant dans l’intégration bancaire et financière, en dotant la zone
    euro d’une véritable autorité politique (avec un pouvoir exécutif et un pouvoir
    législatif propres à la zone euro)..
  • Accentuer la lutte contre les paradis fiscaux (dont beaucoup sont dans la mouvance des
    États membres de l’UE).
  • Élaborer un nouveau mode de développement : avec le souci de préservation de la
    planète et ouvrir une voie nouvelle durable.
  • Maintien, ou pas, du mouvement de mondialisation, avec ses conséquences : pertes
    d’emplois, dumping social et dumping fiscal.
  • Harmonisation fiscale : avec le risque d’aboutir à une moyenne, ce qui aboutirait, pour les
    pays ayant la pression fiscale la plus forte (comme la France) à des pertes fiscales.
  • Harmonisation sociale : avec le risque d’aboutir à une moyenne, ce qui aboutirait, pour les
    pays ayant une protection sociale la plus forte (comme la France) à des diminutions de
    prestations.
  • Élaborer une politique d’immigration qui tienne compte de la dignité des personnes, des
    besoins en main-œuvre, qui diffèrent grandement d’un État membre à l’autre (en fonction
    de leur démographie) et qui s’appuie sur une politique ambitieuse d’aide au développement,
    de façon à faciliter le développement économique des pays d’émigration et de freiner
    l’émigration pour raisons économiques.

10 – Conclusions

  • L’UE est un géant économique, mais un nain politique.
  • Il faut politiser le débat, car il y a de véritables choix à faire, ne serait-ce que par
    rapport au degré de mondialisation compatible avec le mode de développement
    économique et social souhaité par la grande majorité des citoyens européens.
    Il faut reconnaître que l’UE s’inscrit dans un monde dominé par le libéralisme économique
    et que son objectif n’est pas de construire une alternative au capitalisme. Cependant, rien
    n’est moins sûr qu’une sortie de l’UE permettrait d’avancer dans cette voie. La façon dont
    se construit l’UE nous donne la possibilité, malgré ses lenteurs, de « sortir par le haut »
    des crises successives (financière, économique, démocratique, environnementale) et de
    continuer à avancer vers plus de progrès social et démocratique.
  • Le pragmatisme : faire jouer le système des coopérations renforcées (exemple, les
    accords de Schengen) entre les États membres volontaires, dans les matières qui ne
    relèvent pas de la compétence exclusive de l’UE. La politique étrangère et la politique de
    défense peuvent faire l’objet de coopérations renforcées.
  • Si la construction européenne donne l’impression de s’être souvent faite sur fond de crises
    (rappelons-nous les blocages autour de la PAC !), c’est lié à la méthode suivie (cf. « La
    méthode : 8 principes » ci-dessus, page 2). Cette construction s’est souvent faite, non pas
    à partir d’un plan cohérent et logique (sauf, au point de départ, avec la CECA), mais
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    comme une succession d’avancées, dès lors qu’elles apparaissaient possibles (et
    souhaitables), en espérant que lorsque les contradictions apparaîtraient, il serait alors
    possible de mettre en place les dispositifs nécessaires pour y remédier.
    Ainsi de l’euro, où les crises financière, puis économique, ont obligé l’UE à commencer à
    se doter d’outils de régulation.

Il ne faudrait pas que, au nom de l’absolue nécessité de s’unir (chaque État membre de l’UE est trop
petit pour, seul, résister à la mondialisation, maintenir un haut niveau de protection sociale et conserver
sa souveraineté), les artisans de la construction européenne ne tiennent pas compte des critiques
portant sur les modalités de l’unification européenne ou sur ses insuffisances politiques.
Malgré toutes les critiques, justifiées et nécessaires, la construction européenne constitue une sorte de
modèle pour nombre de pays d’Afrique ou d’Amérique latine. L’UE, par son poids dans l’économie
mondiale et à cause, ou malgré, son histoire, devrait être en mesure de constituer une alternative
globale et crédible en matière de développement économique durable et de défense de l’environnement
(biodiversité et lutte contre le réchauffement climatique), ainsi que dans les domaines de la cohésion
sociale (réduction des inégalités dans tous les domaines : revenus, santé, éducation) et de la bonne
gouvernance (pour un fonctionnement toujours plus démocratique).
Enfin, il y a un domaine où l’UE est appelée à jouer un rôle décisif, c’est celui de la paix. Avec la
tentative d’annexion de l’Ukraine (désormais candidate à l’adhésion à l’UE) par la Russie, l’urgence est
de mettre en place une politique européenne de défense.
Mais, pour tout cela, il faut une volonté politique forte.
Une ultime remarque :
comme toute action politique, la construction européenne, comme la construction d’un État national,
doit concilier deux exigences, logiquement contradictoires, mais politiquement nécessaires :

  • une exigence politique, tournée vers l’avenir, qui implique de faire des choix clairs selon des
    processus démocratiques admis par tous, avec la nécessité de passer des compromis (lesquels
    peuvent facilement être dénoncés comme des compromissions), en considérant que ce qui
    sépare les interlocuteurs est moins important que ce qui les rapproche ;
  • une exigence juridique, tournée surtout vers le présent, qui implique le strict respect des
    textes, des principes et des règles en vigueur, sans tenir compte des conséquences des décisions
    prises.

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