La députée, la honte et le dictateur
Comment ne pas être horrifié ? C’est le sentiment qui nous assaille après la chute de Bachar al-Assad, quand on lit les récits des exactions du clan Assad pendant plus d’un demi-siècle en Syrie. Ou quand on voit les détenus sortir de prison plus morts que vifs.
Et comment ne pas avoir honte quand on sait que notre députée, Mme Besse, est allée à Damas en 2015 serrer la main du dictateur sanguinaire ? Au moment même où il utilisait des armes chimiques contre son peuple. Le « printemps arabe » syrien, débuté en 2011, sera réprimé et écrasé dans le sang par le régime, qui gaze et tire à balles réelles sur les manifestants. Le conflit, à ce jour, a fait près de 500 000 morts et 12 millions de réfugiés et de déplacés.
Certes, après la prise de pouvoir d’un islamiste du HTS, même si celui-ci affiche une image modérée, on peut être inquiets pour l’avenir du pays. Mais comment balayer d’un revers de main le bilan de Bachar el-Assad, comme l’a fait Mme Besse dans le journal Ouest-France du 10.12.2024 ? Et comment parler aussi légèrement à la place de Syriens qui sortent de l’enfer ?
Comme son père, le dictateur déchu réprimait dans le sang toute opposition :
- Le 21 août 2013, à la Ghouta, des bombardements au gaz sarin font plus de 1 200 morts, dont une majorité d’enfants, et plus de 10 000 intoxiqués. Barchar al-Assad, est devenu alors pour la communauté internationale le « boucher de Damas ».
- En 2016, la bataille d’Alep est la plus sanglante de la guerre civile syrienne. Pendant les quatre années d’affrontement, plus de 21 500 civils ont perdu la vie.
- La prison de Sednaya, près de Damas, pratiquait torture et mauvais traitement de manière systématique et industrialisée. C’était aussi un lieu de massacre organisé, « un abattoir », selon Amnesty International dans un rapport de février 2017. L’organisation relevait qu’entre 5 000 et 13 000 prisonniers y avaient été pendus entre 2011 et 2015. Au total, 500 000 personnes sont passées par les prisons syriennes, 100 000 n’en sont pas revenues.
- Le 4 avril 2017, des frappes du régime visent le village de Khan Cheikhoun faisant plus de 100 morts, dont au moins 31 enfants, et plus de 100 blessés. Les images des corps suppliciés laissent deviner une nouvelle attaque chimique. Une enquête de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a confirmé que du gaz sarin avait bien été utilisé.
- Selon Libération (2018) les combats meurtriers et attaques féroces contre les civils ont forcé près d’un Syrien sur deux à quitter son domicile. Des millions de gens ont fui le régime à l’étranger. Au cœur de cette stratégie : le viol. Les membres des forces de sécurité syriennes ont à dessein agressé sexuellement des opposantes ou des proches d’opposants.
On s’arrêtera là. Les commentateurs parlent de régime cruel qui utilisait la torture de manière systémique pour détruire la personne et son entourage. Un pouvoir qui avait sophistiqué la terreur.
Pourquoi, et si l’on vient de réouvrir aujourd’hui notre ambassade à Damas, les députés qui s’étaient commis dans une première mission ne retournent-ils pas les premiers et, quels que soient les risques personnels, assurer une présence parlementaire, voire accompagner l’aide française aux malheureux prisonniers ressortant encore vivants des geoles d’un Assad relevant de poursuites pour crime contre l’humanité ?
Yves Suaudeau